Le café durant la révolution
Il faut tout d'abord mentionner les livres d'histoire qui, sous la plume de narrateurs célèbres, tels que Thomas Macaulay (1800-1859) et Jules Michelet (1798-1874), décrivirent des événements uniques, comme les révolutions qui bouleversèrent le monde.
Ainsi rencontre-t-on des tribuns qui, dès la fin du XVIIe siècle, prennent la parole dans les cafés d'Angleterre pour dénoncer et fustiger les scandales, et enflammer les esprits.
Et c'est aussi dans les pamphlets écrits à la main et non imprimés en France et en Angleterre, que l'on appelle à la révolte...
Bien vite, ces tracts sont interdits, parce qu'on se les passe dans les bistrots où ils ne manquent pas de troubler le lecteur endormi et repu, en particulier dans la littérature du XVIIIe siècle, perçoit-on le grondement du tonnerre de la Révolution qui se prépare, dans les esprits avant tout, pour se condenser enfin dans l'écriture.
Comme nous le savons désormais, mieux que tout autre breuvage, le café est propre à éveiller l'esprit et à enflammer les pensées; ainsi ne s'étonne-t'on pas de voir, dans ces lieux où l'on sert du café, des gens se réunir, particulièrement en temps de crise, pour y discuter avec une véhémence croissante.
Bien avant notre époque, on connaissait en Chine des "salons de thé-conférence", dans lesquels les visiteurs pouvaient entendre des intellectuels et des historiens célèbres invités par le maître de céans. Du même coup, ces maisons de thé constituaient un point de rencontre pour les amateurs de littérature et de politique. Mais revenons en Europe, où jadis les barbiers jouaient le même rôle que les tenanciers de salons de thé chinois et japonais.
En Allemagne, en Angleterre, en Autriche, en France surtout, en Espagne, en Italie, en Hongrie, grondait la rébellion. La famine menaçait non seulement à Paris, mais dans toute la France : le gaspillage et le goût du luxe régnaient à la Cour, au mépris du peuple privé de tout.
A quelques pas du "Café de la Régence" se trouvait un café qui devait devenir plus célèbre encore: le "Café de Foy", connu à cause de sa belle limonadière (la serveuse derrière le comptoir); son heure de gloire sonna, grâce à un jeune homme qui, l'après-midi du 12 juillet 1789, s'y était assis, les coudes appuyés, la tête enfouie dans ses mains: dans son cerveau tournaient les pensées qui devaient appeler à la plus violente révolution de tous les temps, car elle allait secouer le monde entier, c'était le journaliste Camille Desmoulins, qui mena la prise de la Bastille.
Tous les Français étaient inquiets, plongés dans le doute: bourgeois, artisans, fermiers; leurs pensées, leurs sentiments, ce qu'ils lisaient, entendaient, ils le devaient bien à l'arôme du café qui, jour et nuit, décuplait l'imagination des écrivains, des journalistes et des orateurs.
Jules Michelet exulta en une véritable apologie: "Car désormais le cabaret est détrôné, l'horrible taverne, là où la jeunesse se roulait entre tonneaux et prostituées. Moins de chansons à boire dans la nuit, moins de nobles dans le ruisseau..."
Le café, cette boisson sobre, cet aliment qui renforce le cerveau qui, mieux que l'alcool, augmente la pureté et la sainteté; le café qui supprime la vague et lourde poésie des fumées d'imagination, qui du réel fait jaillir l'étincelle de la vérité.
Le fort café de Saint-Domingue, bu par Buffon, par Diderot, par Rousseau, ajouta sa chaleur aux âmes chaleureuses des prophètes assemblés dans l'antre de Procope qui virent au fond du noir breuvage le futur rayon de 89." Des paroles qui resteront valables jusqu'au milieu du XIXe siècle.
Le café, compagnon d'un génie littéraire.
La façon de travailler d'Honoré de Balzac est un rituel. La pièce où il se tient est obscurcie, les rideaux sont tirés, le monde extérieur s'évanouit... Il écrit à la lueur des bougies, un mouchoir humide sur le front, les pieds dans une cuvette pleine d'eau, avec à côté d'une pile de feuilles blanches, la célèbre cafetière ventrue.
Balzac prépare sa drogue, cette boisson divine, raffinée qui lui est aussi nécessaire que son génie. L'épopée peut commencer (bien souvent il écrit huit heures d'affilée), accompagnée, soutenue par son café. Quand il arrive chaud et fort dans l'estomac, les idées s'alignent comme jadis un bataillon de la Grande Armée !
Son uvre constitue une fresque gigantesque de la société française de son époque. Il crée deux mille personnages en quatre-vingt-dix épisodes. Sa cafetière est son talisman.
Sa boisson maure devient indispensable.
"Mon cerveau a besoin de cette excitation, même si elle est dangereuse... J'ai d'affreux maux d'estomac", écrit-il en 1845.
Voilà le résultat de cinquante mille tasses d'un liquide tout puissant, sans lequel son uvre géniale ne serait pas née.